Comment faisait-on dans le passé pour mesurer la force du vent et pour connaître les prévisions météorologiques ? On levait le doigt humidifié au dessus de sa tête ; on regardait l’état du ciel, les nuages en cumulus ou stratus ; on observait le comportement des mouettes et des sternes ; on analysait les plans d’eau ou bien on demandait aux pêcheurs du coin de se prononcer sur les phénomènes extrêmes à venir. Les anciens se servent probablement encore aujourd’hui de tous ces paramètres (sauf le petit doigt) avant de sortir en mer.
Mon père faisait parti de ceux qui développaient leurs propres astuces dans le domaine. Je me rappelle que, lorsque le vent chantait dans les gréements, il sortait son petit verre de Bokma (genièvre typiquement hollandais) du placard, puis le remplissait à ras bord. Si des gouttelettes étaient emportées par le vent, il y avait un grand frais en cours.
Mon père n’aimait pas les contraintes. Il avait parfois tendance à interpréter les prévisions météorologiques à sa manière. Au lieu de prendre de la marge, il avait plutôt tendance à minimiser l’ampleur des phénomènes annoncés. Cet optimisme nous a permis d’affronter des conditions en mer assez inconfortables dans les eaux froides de la mer du Nord. Là-haut, on échange le bikini contre un bon ciré et les tongs se transforment en bottes de pluie. Ce n’était pas toujours drôle, mais au moins j’apprécie deux fois plus le beau temps que nous réserve généralement la méditerranée.
Il y a toutefois un problème majeur dans ces eaux du sud. C’est le vent. Je vous avais parlé du Maestrale italien qui nous empêche depuis notre arrivée à Brindisi de poursuivre notre parcours comme on l’avait souhaité.
Je me suis renseignée afin de trouver l’explication du mot Mistral ou Maestrale. Les anciens, qui affrontaient ces vents forts soufflants du Nord-Nord-Ouest, l’ont donné ce nom venant du mot latin ‘magister pour magistral ou « vent maître ». Voilà, Frederic n’y est pour rien.
N’empêche qu’il est maître à bord pour le moment.
L’objectif était d’arriver à Trani, un joli village situé au nord de Bari. Ma famille à Bari nous a réservé une place au port pendant une semaine. Pour l’instant nous sommes bloqués dans la marina de Brindisi. Nous attendons sagement que le vent veut bien mollir un peu pour effectuer les quatre vingt miles qui nous séparent de notre but. Il faut prendre le mal en patience et nous retournons parmi les terriens. Puisque les voies maritimes sont inaccessibles, nous empruntons les voies routières pour aller visiter l’arrière pays de la Pouille.
Les différents voyages dans la région nous ont permis de connaître un peu les lieux. Nous partons à Ostuni, la ville blanche qu’on a visitée lors du dernier séjour chez ma sœur ainée. Les petites ruelles serpentent le centre du village comme un labyrinthe. Toutes les maisons sont peintes en blanc, donnant un aspect Grecque. Le beau monde de Bari s’y retrouve le soir, après avoir passé la journée sur une des nombreuses plages de la côte.
On fête les retrouvailles des cousins franco-hollandais et italo-hollandais. Les enfants peuvent ainsi reprendre l’apprentissage de leur langue coté maternelle. Chose indispensable, afin de pouvoir communiquer entre eux. Les miens découvrent que ça sert quand même quand leurs mamans les embêtent en parlant en Hollandais.
On passe de très bons moments, mais on veut enfin atteindre Trani. Pour faciliter les choses, on décide de laisser les enfants avec ma sœur pendant que Naji et moi naviguons contre vents et marées. Le vent molli enfin vers cinq heures du matin pour atteindre une force raisonnable. Nous partons donc dès l’aube pour une journée de navigation qui va s’avérer longue et fatigante.
Dès le départ, les éléments vont se tourner contre nous. Le port de Brindisi est protégé de la houle par un quai, ou plutôt un mur immense. Celui-ci renvoie les vagues, aussi sec dans l’autre sens, comme si tu frappes une balle contre le mur de ton garage. La houle a eu le temps de se construire au cours des trois derniers jours plutôt venteux. L’état de la mer transforme le pauvre Alayat en une balle de lavage Persil, au cours d’un programme de lavage. Je transmets d’ailleurs quelques réserves concernant les conditions en cours à mon capitaine, mais il faut sortir un peu au largue pour juger l’état réel.
Après quelques jolis plongeons, nous retrouvons une mer plus ou moins correcte. La direction du vent nous autorise à sortir la voile, ce qui permet d’amortir les chocs, provoqués par une mer courte et chaotique.
Notre joie est de courte durée, car le vent vire au Nord, et nous l’avons pile dans le nez. On avance au moteur, mais le courant nous est défavorable et nous repousse vers le sud, réduisant ainsi notre vitesse au sol à six nœuds. Le trajet va être long et nous espérons arriver avant que la nuit tombe sur Trani. Nous pouvons enfin remettre la voile dans l’après-midi et nous arrivons à bon port au coucher du soleil. Les contours de la cathédrale de Trani se dessinent dans le ciel orange de la nuit tombante.
Le comité d’accueil attend notre arrivée avec impatience sur le ponton. Les enfants grimpent à bord afin de terminer la manœuvre d’accostage, comme ils ont l’habitude de faire. Le port se situe au milieu du vieux centre du village. Les maisons et divers édifices sont éclairés donnant un charme supplémentaire à notre port si attendu.
Les quais sont bondés de monde. La jeunesse locale s’y retrouve assise sur leur Piaggio discutant, parlant avec les mains, en train de refaire le monde. Les pubs et restaurants affichent tous complets, mais mon beau frère a retenu une table dans un restaurant au cœur de la vieille ville ou on apprécie particulièrement les antipasti et pâtes fraîches bien mérités.
Nous avons prévu de rester une semaine sur place et de profiter ainsi de la présence de ma famille de Bari. Naji a décidé de faire une visite éclaire à Aix, afin d’y faire le point. Pendant son absence, on peut laisser le bateau en sécurité au port. Je passe quelques précieuses journées avec ma sœur et ses enfants.
Seule à bord avec les enfants, je ne risque absolument rien. Un vigile armé, je ne sais de quel calibre, barre l’entrée au ponton à tous ceux qui n’y sont pas autorisés. Il monte la garde, dans son poste perché au dessus des quais, derrière son écran de surveillance. En réalité il a deux écrans. Un pour le travail, et un pour le divertissement. Il se passe des choses beaucoup plus excitantes sur ce dernier, que sur celui qui retransmet les images prises par la vidéo. Une des chaînes Rai y montre à longueur de soirée des défilés de jolies filles en petite tenue. Heureusement qu’il y a son chien qui le remplace au portail pendant que les regazzi détournent l’attention de son maître.
Du matin au soir, une bande d’ormeggiatoris occupe les escaliers qui mènent aux pontons. Ils deviennent rapidement nos amis, car il faut mieux être en bon terme avec ces petits chefs. On ne sait pas qui a vraiment le pouvoir de décision parmi la meute, mais il semblerait que la municipalité applique une politique de pouvoir partagé parmi ces employés. Nous restons donc en bon terme avec tous, pour assurer le bon déroulement de notre séjour.
Les jours s’écoulent tranquillement entre plage, maison à la campagne de ma sœur et visites de différents villages dans l’arrière pays…des vacances quoi.
Mais voilà, nous sommes partis depuis bientôt deux mois et la rentrée scolaire s’annonce. Nous avons reçu, quelques jours avant de partir, trois gros cartons adressés à respectivement Romain, Loïc et Nils. C’est le CNED qui nous (dé)livre les cours pour assurer l’apprentissage du programme scolaire des enfants. J’avais ouvert les cartons par curiosité et j’avoue que j’étais prise d’une légère panique en voyant la quantité de cahiers, cd’s et autres ‘ustensiles’ de travail.
Naji a percé les premiers trous dans les cloisons du bateau, afin de fixer de quoi ranger la paperasse. C’est pour la bonne cause, donc le moment d’hésitation avant ‘d’abimer’ son beau bateau n’a pas été trop long. C’est donc le moment de sortir les crayons, stylos et autre petit matériel de bureau de leur cachette pour assurer une rentrée de classe bien équipé.
Le premier jour de classe se fait donc le mardi 4 Septembre. Le trajet jusqu’aux bancs de l’école est encore plus court qu’il ne l’était à Saint Marc. Ils sont donc tous à l’heure, comme leur maître et la maîtresse d’ailleurs. La tenue d’école est un peu légère et nous hésitons de les renvoyer ‘à la maison ‘ pour se mettre au moins un t-shirt sur le dos.
Le programme prévoit tous les jours des exercices de français et de mathématiques. Les autres matières, y compris de la musique, seront partagées sur les différents jours de la semaine. Les cours sont extrêmement bien étudiés et les explications permettent surtout à Loïc et Romain d’être assez autonomes. L’accompagnement prend toutefois du temps et l’année promet d’être laborieuse pour tous.
Le temps s’est dégradé ces derniers jours. Les orages défilent au dessus de nos têtes et la température a brutalement chuté. Ce temps très instable s’accompagne de violant coups de vent et retarde, une fois de plus, notre départ vers le sud. Le premier vrai bobo m’a été réservé. J’ai reçu un minuscule morceau de fer dans l’œil. Heureusement que ma sœur a ses entrées dans le milieu médical de Bari et l’ophtalmo a pu retirer l’intrus et soigner la petite plaie rouillée. Je ressemble à un pirate avec mon œil bandé, mais je devrais être délivré du mal dans quelques jours.
Une amélioration du temps est prévue pour Dimanche 9 sept. Nous allons probablement réserver la visite de la Grèce pour l’été prochain, car nous devrons être à Malaga le 4 octobre. Il nous reste donc un mois pour parcourir le trajet jusque là. On préfère garder de la marge, afin d’effectuer des navigations tranquilles. Nous nous sommes promis dès le début que nous n’avons pas d’impératifs et que nous tentons ainsi de rendre le parcours le plus agréable possible pour tous.
Je ne dirais donc plus ou je vous retrouverai dans environ deux semaines. Quelque part entre Trani et Malaga….