Afin d’éviter la barbe verte sur notre coque fraîchement relooké, il faut bouger de Bitter End. Vampe, la petite hollandaise est rentrée au pays, retour à la réalité pour continuer son travail de professeur de voile. Elle devra échanger son maillot contre une combi d’une épaisseur de cinq millimètres capable de la protéger contre le froid du grand nord.
Sebastien, qui a pris la relève de Vampe a réussi son pari. Les trois se suivent en Open Bic, joystick à la main par un petit vent de quinze nœuds. Les deux aînés plongent leurs têtes dans l’eau quand une risée tente de faire basculer l’embarcation et de projeter ainsi l’équipage par-dessus bord. Ils se retournent, se redressent, virent, empannent et font la course entre eux. Loïc tente par tous les moyens de dépasser son grand frère et tous les moyens sont bons pour y arriver y compris l’abordage.
Nous abandonnons donc notre mooring pour entamer notre tour habituel des îles. On longe la côte nord au portant pour arriver à Cane Garden situé sur la côte Ouest de Tortola, l’île principale des îles Vierges Britanniques. La chance nous sourit toujours car notre chanteur préféré des BVI chante cet après midi à Myets. Les enfants se jettent sur les instruments de musique, style tambourin et maracas, pour assurer l’accompagnement. Le type est sympa parce que le rythme n’est pas toujours suivi correctement. Mais ça ne fait rien. La correctrice du CNED n’est pas là pour juger leur performance et les américains sont trop bourrés pour se rendre compte de la moindre fausse note. Le spectacle en soi est déjà à mourir de rire. Les croisiéristes, tout juste débarqués à Tortola ou ils ont eu la permission pour la journée de quitter la croisière s’amuse, profitent à fond de leur autorisation de sortie. Ils enchaînent les « painkiller » (cocktail local à base de rhum et lait de coco) après s’être exposés trop longtemps au soleil. Ils finissent ainsi la journée dans un état d’hystérie à coté de ce pauvre chanteur. Ce dernier accepte les dérapages vocaux de ses admirateurs car ce sont eux qui le font vivre.
Après cette escale musicale, nous partons pour l’île de Jost van Dyke, nommé d’après un célèbre pirate d’origine Hollandaise. La plage de White bay fait honneur à son nom qui est toujours d’une blancheur éclatante. Nous ne sommes pas sur de pouvoir rentrer à l’intérieur du rif, car les fonds sont d’une faible profondeur. Nous allons tenter notre chance en rentrant avec précaution dans la passe Est de la baie. La seule bouée libre nous assure 60 centimètres
En fin de journée nous allons faire un tour sur la plage pour y boire un coup au Soggy Dollar bar. Des vedettes, battants pavillons américains, ont beaché à proximité pour y déverser la jeunesse d’orée venue des îles Vierges Américaines situées à cinq miles nautiques. Les nanas, pour la majorité pourvues d’une poitrine généreuse (natural ou fake), défilent en bikini devant un public joyeux, cocktail à la main. Leurs Jules s’effondrent dans les chaises en plastiques en se racontant des histoires hilarantes. Le volume sonore augmente d’heure en heure et quand l’heure du départ arrive le spectacle est assuré. Les filles se lancent à l’eau, pinacolada à la main, poussant des cris car elles estiment l’eau trop fraîche à cette heure-ci. Elles essaient d’atteindre le bateau, bras en l’air, sans mouiller leur rouge à lèvres.
Les hommes suivent avec plus ou moins de mal, ça dépend notamment de la quantité d’alcool ingérée. Une fois le dernier arraché de son tabouret au bar ils sont prêts pour démarrer les trois fois 250 chevaux qui traînent derrière le bolide. Avec un peu de bonne volonté on évite de broyer un imprudent, un retardataire qui s’apprêtait justement à monter à bord. On a frôlé le drame quand le malheureux se trouvait juste là derrière le hachoir géant au moment qu’un monsieur muscle voulait démarrer l’engin.
L’îlot de Sandy Spit a perdu son palmier. Le vent a eu raison sur un des deux cocotiers que comptait l’île jusqu’à l’année dernière. Est-ce une tempête tropicale qui l’a soufflé cet été en modifiant en même temps la silhouette de l’île? Malgré sa transformation elle reste l’endroit préféré de Loïc et un bon site pour le snorkling. On peut y rencontrer des tarpons qui chassent aux abords du rif les pauvres petits poissons qui essaient désespérément de se protéger de ce prédateur en formant des bancs par milliers. Les plus grands des chasseurs sont assez impressionnants. Ils bougent lentement mais sûrement.
Le passage de Sir Drake Channel nous fait remonter contre le vent et contre un fort courant. L’eau bouillonne à certains endroits comme dans le détroit de Messine. L’été parait déjà bien loin, mais les souvenirs nous reviennent.
Au pied des Indians, quatre rochers au large de Norman Island, nous trouvons une bouée libre. Le site est réputé pour sa qualité des fonds et donc idéale pour y faire un peu de snorkling. Nous mettons les shorties, les palmes et les masques pour aller observer les poissons perroquets, les demoiselles et autres petites créatures colorées. Il faut franchir une petite barrière avec prudence et comme je le craignais, Loïc frôle le corail de feu avec sa jambe. C’est son tour d’avoir une plaie qui ressemble à une brûlure. Notre pharmacie de bord, est une fois de plus très utile. Le tube de Biafine fait son effet et soulage la douleur et le gonflement.
Nous devons refaire le plein de produits frais à Soper Hole. Naji a inventé une façon originale d’augmenter la durée de vie de nos fruits et légumes. A l’aide de notre petite pompe, prévu initialement pour écoper l’annexe, il extrait l’air des sachets dans lesquels nous allons stocker les produits. Privés d’oxygène, les produits peuvent se garder plusieurs semaines au réfrigérateur. Nous allons envoyer son idée à l’émission « meilleure invention de l’année », car le résultat est surprenant.
Nos habitudes sur les pontons peu banales, comme le décollage systématique des étiquettes, le lavage à grand jet des courses et notre nouvelle activité de conditionnement font sourire quelques uns. Ce n’est pas un problème, nous sommes insensibles aux regards moqueurs car nos gestes améliorent la qualité de vie à bord et c’est l’essentiel.
Parlons de se moquer ! Les plaisanciers ont parfois de drôles de façon d’agir au mouillage. Pour récupérer une bouée par exemple. Il y en a qui s’arme de leur gaffe en position d’attaque, pointée au niveau des épaules, comme des chevaliers, prêt à transpercer l’ennemie. Sur certains bateaux on se met à quatre à l’avant pour indiquer au barreur l’emplacement exact de la bouée. Situation idéale pour semer la confusion et de louper la cible. D’autres récupèrent bien le bout qui traîne au bout de la bouée, mais le barreur oublie de couper les gaz et dans le meilleur des cas, on doit laisser filer l’anneau pour éviter d’arracher le bras du pauvre bonhomme qui vient de saisir le cordage. Il y a ceux qui réussissent de passer le bout de la gaffe dans l’anneau, mais comme on arrive trop vite et on ne trouve pas toujours la marche arrière à temps, la gaffe reste coincée dans le cordage et on a perdu son seul outil indispensable au manœuvre. Heureusement qu’on est solidaire sur l’eau et qu’il y a toujours un voisin, qui a observé la scène, pour rendre l’ustensile à son propriétaire à l’aide du zodiac.
Passons aux différentes techniques de mouillage à l’ancre. Là encore on voit des techniques très différentes et originales mais pas très fiables. On ne parle même plus de ceux qui jettent l’ancre sur celle de son voisin, ou de celui qui met que quelques mètres de chaînes, c’est trop classique. Non, j’ai essayé de comprendre pourquoi on utilise son ancre de secours, quand on a son ancre principale à poste prêt à l’emploi. C’est quand même plus facile d’appuyer sur un bouton que de porter une ancre avec sa chaîne de l’arrière du bateau jusqu’à l’étrave pour la jeter par-dessus bord sans y laisser un bras ou une jambe prisonnier du cordage. Le type a ensuite descendu l’autre ancre sur place à la verticale entre les deux flotteurs de son catamaran. Intriguée, j’ai osé poser la question pour connaître ses motivations. Sa réponse était tout simplement qu’il avait maintenant deux ancres. Je n’ai pas insisté… Le lendemain on l’a retrouvé une centaine de mètres plus loin en lisière de la zone de baignade…
Il y a beachparty à Leverick Bay. Les enfants sont très motivés pour participer à la fête. Nous avons droit à un buffet avec ribs, grillades de poissons et de multiples salades exotiques. Pour le digestif on propose un spectacle de danse sur échardes par les Jumbies. Les quatre acrobates sautillent et dansent vêtus de costumes multicolores pendant une heure sous les acclamations du public. Un des Jumbies monte Loïc sur le toit d’un cabanon d’où il suit la scène d’en haut. Pour la finale un des géants se laisse tomber dans la piscine sous l’applaudissement de tous.
Oh non, on n’a plus de gaz ! Naji ne pourra plus faire mijoter ses petits plats ! Il faut donc partir à la recherche des petites bouteilles bleues Camping-gaz. Comme pour les prises de courant, le système français n’est pas compatible avec l’équipement américain. Après avoir bricolé les câbles électriques il faut maintenant trafiquer les bouteilles de gaz. Je ne crois pas qu’ils sont anti-français, mais on ne trouve aucun adaptateur pour rendre notre installation compatible avec les bouteilles américaines. Heureusement qu’il y a que des solutions... Cette fois ci il y a Hug. Il parait qu’il pourra recharger nos bombonnes bleues chez lui sur les hauteurs de Spanish Town.
Seul petit souci, il n’y a pas de route qui relie Bitter End à Spanish Town. Puisque nous avons franchi l’obstacle de la clearance à Barbuda, cette expédition semble « easy man. » On embarque les bouteilles désespérément vides dans l’annexe. On traverse la baie jusqu’ au débarcadère pour y prendre un taxi qu’on a fait venir pour l’occasion. Il traverse l’île pour nous amener en haut d’une colline surplombant la mer. On y trouve une citerne au milieu de son « champ de batailles » On se demande comment il va remplir nos minuscules choux bleues avec son artillerie lourde. Il ne semble pas du tout inquiet et sort divers raccords et rassemble le tout au pied du camion. Une fois les liens établis il commence l’opération de remplissage. On préfère s’éloigner de quelques mètres au cas ou…
Our friend est sympa et plaisante volontiers avec les « frenchies ». Ca fait dix dollars « man ». Le taxi a coûté un bras, mais le prix d’ami de notre copain rend l’opération plutôt rentable.
On n’arrive pas à quitter notre baie de Virgin Sound. Et on a bien fait parce que nous tombons nez à nez avec l’ange gardien de l’équipage transatlantique. Toutes voiles dehors, Sea Cloud rentre dans la rade. Naji a la chaire de poule en revoyant ce voilier majestueux. On leur laisse le temps de jeter l’ancre avant d’embarquer sur l’annexe pour aller à sa rencontre. On espère évidement que le capitaine en question, Mr Chanon sera à bord. On arrive au moment où l’équipage débarque une partie de sa cargaison d’orée pour les amener sur la terre ferme. Les matelots sont un peu surpris de voir notre petite famille s’approcher avec autant d’enthousiasme. On apprend avec déception que le capitaine Chanon a laissé sa place hier à son collègue. Les membres de l’équipage se rappellent par contre très bien de l’aventure de ravitaillement. Ils échangent quelques souvenirs ensembles et nous promettent de passer un grand bonjour au capitaine quand il reviendra à bord. On refait un tour d’honneur autour du bateau en annexe cette fois ci et on prend quelques photos du voilier avant de retourner à la maison.
On croise le chef de cuisine sur le quai qui avait fourni les gaufres chaudes à l’époque. Bref, que de bons souvenirs ici à Bitter End.
Nous sommes revenus à la case départ à Spanish Town. C’est la première fois depuis quelques semaines que nous rencontrons de nouveau des voiliers en voyage comme nous avec des enfants. Après avoir visité l’archipel des Antilles du sud, ils remontent maintenant tranquillement vers le nord pour s’arrêter aux Bahamas et ensuite attendre les conditions favorables pour la traversée de l’Atlantique dans l’autre sens.
Nous passons notre temps d’île en île en remontant les alizés toujours bien établis. On s’invente des mini régates avec des bateaux qui croisent notre route. On repart à nos mouillages préférés et à la découverte d’autres avant notre départ prochain des Iles Vierges. Notre visa d’un mois expire dans quelques jours et nous attendons une fenêtre pour le retour vers l’ouest contre les vents portants. Ça sera probablement le week-end prochain…
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